top of page

OUI au post-traitement

« Laisse tomber c’est photoshopé » ; « Moi je n’ai pas besoin de fausser ma photo, moi je cherche à représenter la réalité ». Ce type de phrase, je peux le lire régulièrement sur internet et notamment sur les réseaux sociaux. Ce type de phrase, c’est pour moi à chaque fois un big bang dans ma tête de photographe. Ce type de phrase, je le lis bien trop souvent et chaque fois, je m’efforce de répondre avec tact malgré la mauvaise foi des personnes de l’autre côté du clavier qui préfèrent souvent ne plus répondre face aux arguments (mauvaise foi bonjour !).

​

Malgré tout, je n’ai jamais l’occasion de développer ma pensée et d’argumenter. Développer, argumenter : voici le cœur de ma réflexion, celle de la méthode scientifique. Nous argumentons par la preuve, et c’est ce que nous allons faire ici-même. Dès lors, je vais tenter de vous expliquer pourquoi il faut dire OUI au post-traitement et non l’inverse. En somme, défendre une forme de « purisme » qui défendrait la « réalité » est une énorme erreur scientifique mais aussi philosophique.

Le purisme est une erreur fondamentale

Le purisme est une erreur fondamentale

Par puriste, j’entends la personne qui ne fait pas de post-traitement et qui le revendique ; il/elle a pour objectif sacré de « retranscrire la réalité » tout en critiquant les personnes qui font du post-traitement. Ainsi, ces personnes exposent fièrement leur volonté de ne pas éditer leurs images (avec souvent un petit « NON PHOTOSHOPE » à côté pour bien faire comprendre) tout en critiquant allègrement celles et ceux qui font cette étape de post-traitement.

 

Finalement, si ces personnes se contentaient de ne pas faire de post-traitement, le sujet ne se poserait même pas : après tout, chacun est libre de faire de la photo comme il le souhaite (et c’est tant mieux !). Cependant, défendre un totem qui serait la « représentation de la réalité » est une erreur que ces personnes ne réalisent pas. De fait, elles se sentent investies d’une mission : la photo doit représenter la réalité, et le post-traitement est une déformation de la réalité qu’il faut critiquer (bouh les impies, les hérétiques de la photo).

 

Comment prouver que ces personnes ont tort ? Il faut pour cela comprendre ce qu’est la photographie même, son fonctionnement et ce d’un point de vue scientifique et philosophique. Se dégagent alors trois grands biais qui vont guider notre réflexion. Tout d’abord, nous allons comprendre comment fonctionne la photographie et en quoi ce n’est qu’une représentation de l’espace. Ensuite, nous montrerons que le post-traitement contrairement aux idées reçues, peut aider à se rapprocher d’une réalité recherchée. Enfin, nous devrons nous questionner sur ce qu’est la photographie : un art ou simplement une pratique utilitaire ?

​

La photographie n’est qu’une représentation de l’espace

La photographie n’est qu’une représentation de l’espace. En soi, il y a autant de réalités que de paires d’yeux ou d’appareils photo. Vous vous dîtes que ce que vous voyez est la réalité ? Les distances, les couleurs, etc ? Vous vous mettez le doigt dans l’œil ! Même chose si vous pensez que votre APN capture la réalité.

 

En effet, l’image que vous voyez dans votre tête ou sur l’écran de votre APN est une retranscription de la lumière. Il faut pour cela ouvrir ses cours de physique de collège pour comprendre cela : la lumière transporte l’information (la lumière est une longueur d’onde) qui rentre dans votre œil ou votre APN, puis votre cerveau ou l’APN transforment l’information contenue dans la lumière en une image. Une fois ce postulat posé, il faut le décortiquer et voir les nombreux biais que cette opération entraîne pour un appareil photo. Au total, j’ai pu dénombrer par moins de six biais différents.

​

Les objectifs entraînent une déformation de l’espace

La première chose que la lumière traverse, c’est l’objectif de votre appareil (tout comme votre œil). Un objectif, c’est un ensemble optique composé de verres plus ou moins traités et surtout aux propriétés très particulières. L’optique, c’est une discipline ô combien complexe mais aussi ô combien imparfaite : chaque objectif est différent, avec ses qualités et ses défauts.

​

De fait, chaque objectif a une longueur focale différente qui va totalement modifier la perception de l’espace : une photo réalisée à 16mm n’est absolument pas la même qu’à 300mm. Cette différence entraîne un cadrage différent mais également des déformations optiques certaines : imaginez la scène à 16mm au grand angle, totalement étirée aux angles. Ensuite, il faut prendre en compte qu’un objectif peut influencer les couleurs de votre scène. Bref, une même scène avec des objectifs entraîne une subjectivité totale et pour chaque fois, une représentation de l’espace parmi tant d’autres.

​

Chaque capteur capte différemment la lumière

Une fois l’objectif traversé, la lumière vient frapper votre capteur photo. Sa mission est simple : par ses photosites (pixels qui sont sensibles à la lumière), il capture la lumière et ses informations. Cependant, chaque capteur est différent tout comme chaque œil l’est (imaginez un daltonien).

 

Il existe différents types de capteurs (ceux des smartphones, les capteurs 4/3, APS-C, plein format, moyen format), plus ou moins grands, plus ou moins sensibles, plus ou moins définis et j’en passe. Bref, il existe une multitude de capteurs avec des caractéristiques propres à chacun.

 

Partant de ce constat, il faut donc comprendre quelque chose : chaque capteur offre SA retranscription de la lumière. En conséquence, les couleurs seront par exemple différentes d’un capteur à l’autre. Il y a donc autant de capteurs que d’appareils ; il y a autant de réalités que de paires d’yeux dans le monde.

​

Le signal lumineux est traité par l’électronique

Une fois la lumière récupérée par le capteur, il faut à présent transformer les informations contenues dans celle-ci en une image. C’est une opération complexe tout comme le fait votre cerveau pour vous offrir une vision en temps réel. Pour un APN, c’est l’électronique du boîtier qui se charge de cette opération grâce à de complexes algorithmes. Ces derniers sont des bijoux mais sont très différents d’une marque à l’autre, et surtout entre les capteurs. Bref, chaque algorithme impose SA retranscription de la lumière en une image ; une même scène avec deux boîtiers sera photographiée différemment. Encore une fois, il y a autant de réalités que d’APN.

​

Votre boitier impose son propre post-traitement

Ah … Dur dur pour les puristes : vous faîtes du post-traitement sans même vous en rendre compte. Pourquoi ? Parce que votre boîtier impose plus ou moins de l’édition. Cela se fait par le choix de « profils » notamment, qui vont dès le départ modifier votre image. Ainsi, vous pouvez choisir avec un profil « portrait », un profil « neutre », un profil « paysage » ou encore un profil « noir et blanc ». Chaque profil a ses propres caractéristiques : contraste, saturation, netteté et j’en passe. Faites l’expérience et faites la même photo avec différents profils, vous n’aurez pas du tout la même image.

​

Enfin, certains APN vont plus loin. C’est le cas notamment des Fujifilm qui excellent en la matière : avant même de prendre la photo, vous pouvez choisir parmi les nombreux et magnifiques profils de la marque. Parmi eux, vous avez même la possibilité de restituer le grain de certaines pellicules légendaires du temps de l’argentique. Pas très réaliste tout cela … Mais pourtant si beau et créatif (bonjour l’art !).

​

Le fichier modifie l’image de départ

Avant de commencer, il faut tout de même rappeler que ce biais n’intervient pas par les fichiers RAW. Le RAW, c’est un fichier non destructif qui laisse telles quelles les informations brutes prises par le boîtier sans modification. C’est donc un fichier idéal car il ne biaise pas l’image lorsque l’on va la regarder. Oui mais voilà, le RAW est un fichier destiné au post-traitement, un comble pour une personne qui ne veut pas en faire … Ce type de fichier n’est pas destiné à être lu sur internet ou les réseaux sociaux. En l’état, un RAW est inutilisable pour être publié et bien trop lourd.

​

Pour publier une image, on utilise des fichiers normés et bien plus légers tels que le JPEG ou le PNG. Ces fichiers sont victimes de la compression (étape qui allège le fichier en compressant les informations) : votre image va perdre en qualité de même qu’en couleurs. Aussi et selon les profils choisis, la palette de couleur est limitée par rapport aux normes colorimétriques notamment sur internet (norme sRGB). Bref, votre fichier entraîne une – très légère – dégradation de l’image de départ.

​

Chaque image est différente selon l’écran

Dernier biais et pas le plus léger. Avez-vous déjà regardé une même photo sur plusieurs écrans ? Sur un smartphone ? Un ordinateur ? Une télévision ? Vous devez rapidement arriver au constat suivant : à chaque fois, elle sera différente. Pourquoi ? Parce que chaque moniteur est différent avec ses propres caractéristiques (définition, résolution, couleurs, etc). Ensuite, chaque écran du même modèle peut offrir par exemple des couleurs différentes selon la calibration des couleurs. Encore une fois, une même image sera différente selon les écrans et cela entraîne – encore – une déformation de la scène de départ …

​

Le post-traitement vous aide à vous rapprocher de la réalité

Tous les biais cités précédemment n’ont pas de lien direct avec l’édition, mais il convenait de rappeler que la réalité n’existe pas mais qu’il y a une infinité de réalités. Passé ce constat, la photographie peut tout de même servir à se rapprocher au plus près de la conception que l’on aurait de la réalité, souvent celle présente à travers nos yeux. Après tout, c’est une conception tout à fait louable de la photo qu’il faut respecter. Si tel est votre objectif, comprenez que le post-traitement peut être votre meilleur ami contrairement à la photo brute.

 

En effet, nos APN sont certes de somptueux outils, mais ils présentent des limites physiques tout comme nos yeux. Chaque APN délivre le meilleur de lui-même dans des conditions lumineuses optimales mais devient vite limité lorsque les conditions se dégradent. Qui n’a jamais pesté face à une photo brute loupée lors d’un coucher de soleil ?

 

D’ailleurs, si vous souhaitez savoir comment capturer un beau Sunset, nous avons rédigé un article à ce propos juste ici. Lorsque l’on rencontre ce type de situation, nos images brutes ne sont franchement pas belles : sous-exposées dans les ombres et surexposées dans les hautes lumières. Sortie du boîtier, l’image ne représente pas une réalité car certains éléments sont tout simplement imperceptibles.

La photograhie n'est qu'une représentation de l'espace
Les objectifs entraînent une déformation l'espace
Chaque capteur capte différemment la lumière
Le signal lumineux est traité par l'électronique
Votre boitier impose son post-traitement
Le fichier modifie l'image de départ
Chaque image est différente selon l'écran
Le post-traitement vous aide à vous rapprocher de la réalité

Prenons le cas d’une photo prise en Charente Maritime. La scène est contrastée en coucher de soleil : le soleil brille fort sous les nuages tandis que la cabane à contre-jour est sous-exposée. Même avec un capteur très performant – celui du Nikon D800, la plage dynamique possède ses limites. Afin de garder un soleil bien exposé (et non pas une boule cramée), j’ai décidé de sous-exposer la photo. En photographie, tout est affaire de choix.

 

Certes, nous pourrions faire un bracketing (le bracke-quoi ? Lisez l’article juste ici), mais la solution s’est portée en seule photo et l’utilisation d’un filtre GND Reverse qui assombrit la moitié supérieure de la scène, d’où la cabane sombre. Oui mais voilà, cette stratégie est mesurée car je sais que derrière, il y aura un post-traitement afin de déboucher les ombres de la cabane. Si on laisse l’image brute, on ne voit pas la cabane.

La photo brute du Sunset en Charente-Maritime.

Un simple passage dans Lightroom permet de simplement déboucher les ombres, baisser les hautes lumières, et d'améliorer l’exposition globale de l’image. Pas de Photoshop ou je ne sais quoi, mais l’image est bien plus proche de ce que mes yeux ont vu que l’image de départ. Moralité de l’histoire : le post-traitement est votre allié avec d’améliorer votre image et compenser les limites physiques de votre appareil.

Un passage dans Lightroom permet d'équilibrer l'exposition de l'image.

La photographie n’est pas utilitaire : c’est un art

Je pourrais m’arrêter ici et fournir ma photo mieux exposée. Mais terminer sur cette idée me laisse un goût amer. Cela consisterait à dire que la photographie est utilitaire, qu’elle ne sert qu’à figer le temps et ce que nos yeux voient. Pour ma part, je considère que c’est une fermeture d’esprit considérable car la photographie est un art, tout comme le sont la peinture, la musique, le cinéma ou autre. Imaginez si le cinéma ne servait qu’à immortaliser les instants de la vie sans faire de bons films mythiques ; imaginez Monet et les Impressionnistes, bien loin d’une représentation de la réalité.

 

Car oui, la photographie est un art qui ne se limite pas à la seule représentation de la réalité. Elle permet à chacun de s’exprimer, de laisser libre cours à son imagination, à sa vision du monde. Dès lors, les photographes expérimentent, testent, innovent et créent LEUR réalité issue de leur imaginaire, tout comme le fait Monet. Alors, une pose longue n’est certes pas le mouvement de l’eau à travers vos yeux, mais elle magnifie une scène et déclenche l’effet waouh lorsqu’on l’observe (et oui, ça sert à ça l’art). Aussi, la photographie permet de retranscrire une ambiance, si importante à mon sens.

La photographie n'est pas utilitaire : c'est un art

A travers mes photos, je souhaite faire ressentir aux spectateurs l’ambiance et mon ressenti, la violence d’une scène ou sa douceur, sa froideur ou sa chaleur, sa rapidité ou sa lenteur. Sur la photo charentaise, mon post-traitement est allé au-delà. J’ai souhaité retranscrire la chaleur ressentie par le coucher de soleil en bord de mer, un soleil d’été tranchant, lumineux et percutant. Car à travers cette image, je transmets mon émotion et mon ressenti lorsque j’ai vécu cet instant.

Cette photo est ma représentation de cet instant à travers mon regard.

Ne pas confondre post-traitement et excès

Dans le milieu de l’édition d’images, il y a un outil qui surpasse les autres : Adobe Photoshop. Pour les créateurs c’est une bénédiction, pour les puristes c’est le diable. En effet, Photoshop possède une image qui lui colle à la peau : un logiciel qui ne sert qu’à amincir des femmes, enlever les kilos en trop, faire disparaître les gens. Nier ceci serait se mentir à soi-même : OUI il y a de nombreux avec ce logiciel, comme avec tous les logiciels d’édition. Mais comme pour tout, il faut distinguer la pratique utile de la pratique excessive. A partir de quand le cap de l’excès est-il franchi ? J'attends votre argumentation.

​

Certes, il est difficile d’y répondre et cela revient à la subjectivité de chacun ; pour autant, Photoshop reste un outil remarquable que j’utilise moi-même pour éditer mes photos en post-traitement. En effet, il reste un logiciel d’édition comme les autres qui permet de post-traiter ses images et ce de façon puissante. Comme pour tout le reste, il faut l’utiliser avec parcimonie et mesure sans tomber dans l’excès. C’est à chacun de fixer ses limites et son éthique – si on juge ce terme adapté à ce sujet. Bref, Photoshop est un outil génialissime qui permet à de nombreux créateurs de pratiquer leur art.

​

Et si au final, chacun faisait ce qui lui plait ?

Comme diraient les Inconnus dans Jesus II le retour (un classique selon moi), « vous allez finir par vous aimer les uns les autres BORDEL DE MERDE ?! ». Car je constate quelque chose de flagrant : je ne rencontre pas tellement de personnes qui font de l’édition critiquer ceux qui n’en font pas, contrairement à l’inverse. Ce sujet est analogue du reste dans la société : la fermeture d’esprit, la critique facile et j’en passe. Et si chaque personne pouvait simplement faire les photos comme il lui plaît ? Et si la photographie pouvait être pratiquée comme tout autre art, sans jugement ?

​

Cette liberté doit laisser part à la critique comme dans tous les arts ; cependant, celle-ci se doit d’être constructive, argumentée et fondée. Je rêve d’un monde où ces clivages entre post-traitement n’existent plus et où chacun possède l’ouverture d’esprit nécessaire. Note à moi-même, ce monde n’est pas pour demain …

 

Enfin, la réflexion autour de ce sujet me pousse à me poser une question : et si parfois, la critique autour du post-traitement venait tout simplement d’une frustration de la part de personnes qui ne sauraient pas le faire ? Vous avez quatre heures.

​

Et quand même pour terminer et rigoler un coup, Jesus II le retour.

Ne pas confondre post-traitement et excès
Et si au final, chacun faisait ce qui lui plaît ?
bottom of page